« Vous êtes enceinte de bientôt quatre mois, Mademoiselle Richardson. Ce n’est
pas une
petite gastro. »
Déambulant sur Walnut Street, Norah souriait au soleil qui effleurait doucement sa peau.
Enceinte. Quelle ironie.
Elle pensait à des prénoms. Andrew, Matthew, inexplicablement, elle savait que ce serait un garçon. Isaac, Jeremiah, un beau petit gaillard blond et frisé avec de grands yeux bleus. Leo, Sasha, il était là, le petit témoin de sa passion, cette petite boule de chair et d’os qui lui rappellerait à jamais son amour enfuit.
Elle écoutait
Remember de Summerlove en souriant dans les rues de Philadelphie. Elle passa devant la piscine. Envahie par ses souvenirs, elle resta plantée devant le bâtiment plus d’un quart d’heure. Il y avait un bon moment qu’elle n’était pas allée nager, mais le chlore ne lui manquait pas trop. Lorsque son baladeur passa
Superstition de Stevie Wonder, elle décida de changer de chanson et de recommencer à marcher. C’était
Honey, Let Me Sing You A Song de Matt Hires qu’elle avait choisie pour continuer son périple.
Elle alla s’allonger un moment dans l’herbe du Rittenhouse Square.
HONEY LET ME SING YOU A SONG AND LISTEN TO MY WORDS AS THEY COME OUT WRONG, BUT DON’T RUN AWAY, RUN AWAY, THIS TIME.
Douce odeur d’herbe coupée sur l’été naissant de Philadelphie. Norah était bercée par la voix douce qu’elle avait choisie et ne se départissait pas de son sourire, cet étrange sourire. En ouvrant les yeux, elle aperçut le marchant de glace et se leva d’un bond pour courir lui acheter une glace à la vanille. Elle regarda en riant la sucrerie glacée et murmura un inaudible «
je t’aime » avant d’éclater de rire. Le casque de son baladeur retransmit alors dans ses deux oreilles des notes de
guitares qu’elle connaissait si bien. Elle sentit ses bras la démanger et tous ses muscles se tendre.
Le bonheur ?Elle courut alors que le chanteur commençait sa déclaration.
HEY NOW THIS IS MY DESIRE CONSUME ME LIKE A FIRE CAUSE I JUST WANT SOMETHING BEAUTIFUL TO TOUCH ME.
Elle courait dans la rue, à en perdre haleine. Le vent fouettait son visage et les odeurs tendresse que renvoyaient les autres autour d’elle, lui faisaient tourner la tête. Elle s’arrêta une seconde pour enlever ses chaussures et les mettre dans son sac à main. Elle pouvait maintenant courir plus vite. Elle voyait les grandes herbes se rapprocher et elle sentait l’odeur des arbres de sa joie passée.
La Delaware.
Elle s’arrêta au bord de l’eau. Les pieds dans les pissenlits. Les yeux fermés, elle laissa le vent doux et frais l’entourer et faire voler ses cheveux.
Tu te souviens ? Tu te souviens, mon amour ? Tu t’asseyais ici avec ta guitare. Moi, je restais debout et je t’écoutais. Tu chantais n’importe quoi. Tu te souviens ?-
Je t’aime, souffla-t-elle encore dans le vent.
Et elle plongea. Elle laissa tomber son sac sur le bord, jeta ses lunettes de soleil et son baladeur par terre, fit glisser sa robe au bas de ses jambes et plongea, la tête la première, dans l’eau froide de la Delaware.
Remontant à la surface elle hurla à pleins poumons, juste pour crier, juste pour sortir tout ce qu’elle avait en elle. Et elle rit encore. Quel bonheur de faire des choses insensées juste parce qu’on a envie de les faire… Elle se sentait vivante, enfin vivante, à nouveau, vivante. Nageant sur le dos, elle chanta à tue-tête.
-
This is the last time ! I give up this heart of mine! I’m telling you that I’m a broken girl who’s finally realized, you’re standing in moonlight but you’re black on the inside. Hoo hoo hoo hoo… Do you think you are to cry? THIS IS GOODBYE!Elle voulait ressentir les choses. Se ressentir elle-même. Savoir être… Même seule, elle voulait se prouver qu’elle pouvait se faire exister.
En remontant à la surface, elle s’allongea dans l’herbe pour se faire sécher.
Such Great Heights de The Postal Service tournant dans son baladeur, elle regarda les nuages blancs se pourchasser dans le ciel.
But everything looks perfect from far away come down, down, like we’ll stay…. Ses sous-vêtements étaient encore humide lorsqu’elle se releva pour enfiler à nouveau sa robe et repartir dans son grand périple. Elle se promena un peu sur le bord de la rivière en écoutant
The Guy Who Turned Her Down de McFly. Mais la chanson ne lui paraissait pas vraiment joyeuse étant donnée le contexte dans lequel elle s’était enfoncée. Alors, en passant devant cette vieille bâtisse de briques rouges, elle opta pour
Kiss Me des Sixpence.
St Adrien.
Elle en fit le tour avec admiration. Combien d’années avait-elle passées là-bas, à rêver que le prince charmant viendrait l’en délivrer ? Et depuis combien de temps s’imaginait-elle qu’il était
effectivement venue l’y chercher ? Son prince charmant en carton… Avec sa frisette sur le front. Elle sourit en passant devant la grille de fer qui l’avait empêchée si souvent de s’échapper. Elle passa même sous la fenêtre de sa propre chambre et s’y assit un moment. Elle s’y revoyait discuter avec Rachel. Faire l’amour à Joseph. Rire avec Mary. Se blottir dans les bras de Nicholas.
Il commençait à se faire tard, il fallait qu’elle finisse avant la tombée de la nuit. Alors elle se releva et continua de marcher, pieds nus dans tout Philadelphie. Elle passa devant le label et pensa une seconde à y entrer, mais ça n’aurait eu aucun sens et pas la moindre utilité. Alors elle continua son périple, souriant en reconnaissant la voiture de Joanna et celle de Mary. Elles avaient été les meilleures amies que Norah ait jamais eues. Elle passa devant la boutique de Rachel et lui sourit à travers la vitrine. Elles se firent signe mais Norah ne s’arrêta pas. Elle fit un détour par l’atelier de Sebastian et s’y arrêta un moment. Elle sortit de son sac une feuille de papier et un stylo. Elle dessina un grand cœur et y inscrivit trois prénoms.
Son petit marathon prit fin aux pieds de l’immeuble dans lequel elle avait vécu avec Nicholas six années durant. Elle soupira avec soulagement en s’arrêtant devant la grande porte de bois. Elle leva les yeux sur les dix étages qui avaient fait parti de son bonheur passé et sourit. Puis elle poussa la porte et s’engouffra dans les escaliers.
The Way I Loved You de Selena Gomez retentissait dans ses oreilles alors qu’elle appréciait chaque marche gravie.
EVERYTHING’S COOL, YEAH. I’TS ALL GONNA BE OKAY, YEAH.
Elle reconnaissait les odeurs de chacun de ses anciens voisins. Elle reconnaissait les graffitis sur la rampe entre le rez-de-chaussée et le premier étage. Elle reconnaissait la peinture ocre et les marches en bois. Arrivée au cinquième étage, elle s’arrêta pour contempler la porte. Il y avait encore le coup qu’elle y avait fait en donnant un coup de pied dedans le jour où elle était partie. La poignée branlait un peu, depuis qu’elle avait claqué la porte avec fureur. Elle sourit encore et continua de monter les marche jusqu’à
arriver sur le toit.
I DON’T WANT ANOTHER PRETTY FACE. I DON’T WANT JUST ANYONE TO HOLD. I DON’T WANT MY LOVE TO GO TO WAISTE. I WANT YOU AND YOUR BEAUTIFUL SOUL.
Elle s’allongea sur le béton encore chaud des rayons de soleil qui l’avaient caressé toute la journée. Ils avaient passé là des heures, quand il était encore là. Des journées et des nuits entières, allongés sur le toit à regarder le ciel. Chacun sa guitare. Juste comme ça, juste pour être ensemble et ne rien faire d’important. C’était toujours génial quand elle ne faisait rien d’important… Avec lui.
A nouveau, elle sortit de son sac une feuille de papier et un stylo. Elle s’assit en tailleur, regarda encore le ciel et commença à écrire. Lorsqu’elle eut fini il faisait nuit. Plus un seul passant ne parcourant la rue à pieds. Elle plia soigneusement le manuscrit, rangea tout dans son sac et sauta.
La chute ne dura que quelques secondes durant lesquelles elle eut l’impression de voler. Le choc fut terrible, mais il ne l’acheva pas.
Allongée sur le bitume, elle ne sentait pas la douleur. Elle pensait juste à cette journée, à l’étrange impression qu’il avait été auprès d’elle durant toutes ces minutes de bonheur. Elle avait pourchassé son souvenir pendant tout le jour et c’était bientôt fini. Il était tard. Personne ne la trouverait avant un bon bout de temps. Elle se viderait de son sang, perdrait connaissance puis mourrait, tranquillement. Elle avait inscrit son numéro de téléphone, à lui, sur la paume de sa main. Il serait la première personne que l’on contacterait. Il trouverait la lettre dans son sac à main. Il la lirait. Serait en colère. Puis il oublierait. Et tout le monde serait tranquille.
Enfin.
Elle ferma les yeux. Il fallait juste que personne ne vienne.